Ce blogue redémarre après quelques années (cinq je crois) de vacance sous une forme un peu différente : des textes, de petits textes, des nouvelles, poésies, etc avec des illustrations libres. Des textes personnels parfois issus d'ateliers d'écriture. Le premier s'intitule
"Dialogue de meubles" :
Mollement installé dans mon salon je m’efforçais de suivre l’intrigue tarabiscotée d’un livre qui me tombait des mains. Les paupières vacillantes donnaient loisir à mes yeux et à mon esprit pour détendre mon attention mal occupée par ces phrases indigentes.
Doux relâchement postprandial aux rêves légers comme des insectes ailés bourdonnant comme eux.
— J’étais l’ordonnateur d’une fête de famille que les meubles, un temps réunis dans mon salon, commençaient à animer de leur conversation. Dans le brouhaha qui s’installait la grande glace -- posée sur la tablette d'une cheminée -- au cadre vieil or coiffée d’angelots sut faire entendre sa voix maniérée, consciente de son rang.
« Chers amis de rencontre, j’en suis à ma troisième cheminée ; je me souviens avec nostalgie d’un grand salon lyonnais au plafond inaccessible, à la moquette de laine épaisse d’une riche couleur ocre. Là tout n’était que chuchotements et parfum de roses. Je reposais sur une confortable tablette de marbre noire, sans ornements au linteau pour me faire ombrage, reflétant à mon pied un petit éléphant d’ébène et une pendule en bois marqueté dont je n’ai jamais vu que le mécanisme.
Je passe sous silence ma deuxième cheminée, étriquée et fendue. Refléter un salon petit bourgeois, une télévision criarde et des occupants de même farine, mes dorures en rougissaient de honte.
Aujourd’hui je ne me plains pas de ma troisième cheminée. Trop voyante, décorée comme une cocotte, elle me relèguerait volontiers au second plan si l’on ne levait irrésistiblement les yeux jusqu'à mes angelots joufflus de stuc appuyés sur une vasque débordant de fruits, de fleurs et de feuilles d’acanthes. Je reflète le grand lustre à pampilles de cristal, quel plaisir de pouvoir converser avec quelqu’un de mon monde».
Le grand lustre, majordome d’antan au style inimitable, se contenta d’entrechoquer délicatement ses cristaux, discret acquiescement. Restant sur son quant-à-soi il n’évoqua pas son âge d’or, le château de ses origines ni, déchéance, son précédent emploi, ce petit salon auvergnat si bas de plafond que la plus basse de ses pampilles caressait, sans plaisir, la rugosité d’une table de ferme, massive comme une vache laitière.
« Vous souvenez-vous de moi ?» dit alors à la grande glace la voix feutrée d’un petit meuble d’angle, un bar quart-de-cercle à placage acajou et dessus en lourd marbre sombre, «non bien sûr, vous ne pouviez me refléter, nous étions contre le même mur. Je pense toujours à notre salon lyonnais avec une douce nostalgie. Vous souvenez-vous du maitre de maison proposant à ses hôtes son "v"hisky comme on le prononçait au début de son arrivée en France dans les salons bourgeois ?».
La porte du bar d’angle s’entrebâilla pour un sourire qui s’acheva en soupir.
«Comme je regrette ce temps béni !».
Soupir complice de la grande glace.
Une voix nasillarde troubla le silence mélancolique, un petit secrétaire à secrets interpella le grand lustre.
« Hé ! compère, nous avons connu le même château, nous cohabitâmes un temps dans le boudoir rose de Madame. Il s’en passait de belles quand Monsieur était à la chasse et souvent d’ailleurs à la chasse aux poulettes…»
« Taisez-vous !»
C’était la première fois que le grand lustre prenait la parole et son autorité naturelle fit taire le ragoteur.
« Ne sommes-nous pas tenus à la plus grande discrétion ? Que l’on n’ait plus à vous le dire !»
Le secrétaire à secrets qui ne savait pas les garder rabattit sa tablette et ferma ses tiroirs, l’air penaud.
Pour détendre l’atmosphère l’armoire normande raconta sur le mode comique ses nombreux déménagements.
« C’est toujours en mille morceaux que je voyage. on me démonte, on me remonte , on me redémonte et on me reremonte ; à chaque opération je perds un organe, une cheville à Lunéville, un rayon à Saumur, ma clé doit dormir oubliée à Saint-Étienne, depuis je bâille.
De plus, si toi tu contiens toujours des alcools et toi de la paperasse dit-elle au bar et au secrétaire moi je suis le royaume de l’hétéroclite. Je vous passe les pulls, les draps parfumés à la lavande et les albums de photos parfumés au souvenir mais je sens encore les saucissons qu’on mit à sécher sur mon rayon du haut. J’ai abrité les belles reliures d’un bibliophile, les timbres rares et les montres d’un collectionneur obsessionnel, des costumes militaires, un revolver d’ordonnance, des soixante-dix-huit tours et…»
« Et un raton laveur » ajouta le fauteuil dans lequel j’étais assoupi. Il avait des lettres ayant appartenu à un professeur de français-latin-grec.
Tous s’esclaffèrent, heureux de ce moment de complicité volé au temps qui tout détruit.
« Où irons-nous quand celui-là et la grande glace me désigna d’un reflet, nous laissera tomber?
N’y pensons pas ».
«Carpe diem, allez la sieste est terminée paresseux ! » conclut le fauteuil en m’éjectant d’un bourrade de ses coussins moelleux —
Longtemps je gardais en tête les éclats de rire des meubles de mon salon.